Qu’est-ce que la rafle des années 60 ?

Ce qu’on appelle la rafle des années 60 désigne une série de politiques promulguées par les autorités provinciales et territoriales de protection de l’enfance à partir du milieu des années 50.

En conséquence de ces politiques, des milliers d’enfants autochtones ont été retirés de leurs familles sans consentement et placés dans des foyers d’accueil. Beaucoup de ces enfants ont ensuite été adoptés par des ménages non-autochtones et souvent blancs à travers le Canada et les États-Unis.

Le fait d’avoir été physiquement, culturellement, émotionnellement et spirituellement arrachés à leurs familles, communautés et Nations continue d’affecter les survivants de la rafle des années 60, ainsi que leurs descendants, communautés et Nations, des années après.

Histoire de la rafle des années 60

La pratique de retirer des enfants de communautés autochtones sans le consentement de leurs familles existe depuis que les colons européens ont commencé à former des colonies sur les territoires autochtones que nous appelons aujourd’hui le Canada. La rafle des années 60 est un des nombreux exemples d’efforts gouvernementaux multiséculaires visant à assimiler les peuples et cultures autochtones à la culture euro-canadienne.

La ‘rafle des années 60’ désigne un processus qui a commencé après 1951, quand le gouvernement a progressivement introduit l’élimination de la fréquentation obligatoire des pensionnats autochtones. Des amendements apportés à la Loi sur les Indiens ont conduit à ce que les provinces soient désormais individuellement compétentes dans certains domaines, y compris la protection des enfants autochtones. Au milieu des années 60, le nombre d’enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance de certaines provinces était plus de 50 fois supérieur à ce qu’il était au début des années 50.

A cette époque, les décisions de placer des enfants étaient prises par des travailleurs sociaux généralement non-autochtones, qui travaillaient au sein du système de valeurs des populations blanches euro-canadiennes. La majorité de ces travailleurs ne connaissaient pas bien la culture et l’histoire des communautés autochtones au sein desquels ils exerçaient leur profession. Ce qu’ils considéraient comme “soins appropriés” était basé sur leur propre expérience de vie, ancrée dans leur système euro-canadien de valeurs. Leur formation n’incluait pas la compréhension des structures familiales et de l’éducation des enfants autochtones, ni des visions du monde et systèmes de connaissances autochtones.

Les travailleurs sociaux retiraient des enfants de leur famille sans consentement, souvent de façon routinière, en se basant sur des arguments fondamentalement racistes. L’observation de pratiques qui n’étaient pas typiques de familles euro-canadiennes (comme une alimentation traditionnelle, par exemple) menait à la séparation forcée de familles stables et aimantes. Les problèmes comme la pauvreté et le chômage, qui touchent les communautés autochtones de manière disproportionnée en raison de politiques discriminatoires et de violence structurelle s’étalant sur des siècles, étaient considérés comme des motifs suffisants pour retirer des enfants de foyers autrement heureux. 

Impact

Les politiques mises en œuvre pendant la rafle des années 60 ne sont qu’une phase d’une histoire plus large, caractérisée par la violence physique, structurelle, environnementale et culturelle à l’égard des peuples autochtones. Les travailleurs sociaux et les services de protection de l’enfance, dont le mandat aurait dû être d’exercer une influence positive au sein de communautés souffrant de longue date d’un manque de services et de ressources, ont à la place choisi de retirer les enfants de leurs foyers et de déchirer les familles. 

En conséquence, les survivants de la rafle des années 60 ont perdu en grandissant leur héritage et leur sentiment d’appartenance. Les survivants ont indiqué que la déconnexion avec leurs cultures, leurs familles de naissance et leurs Nations les avait conduit à ressentir de la confusion, de l’isolement et de la honte. 

De nombreux administrateurs des politiques de la rafle des années 60 estimaient qu’enlever des enfants de leurs Nations suffisamment jeunes ferait en sorte qu’ils ne développent pas leurs identités autochtones. Dans la pratique, cela veut dire que les survivants ont dû vivre des années de pertes linguistiques, spirituelles et légales. Cette génération a été privée de sa capacité à parler la langue de ses Nations, de sa connexion spirituelle aux terres ancestrales et, pour beaucoup, des nombreuses implications légales et culturelles du statut d’Indien.

De nombreux survivants adoptés ont signalé des abus physiques, émotionnels et sexuels de la part des familles auprès desquelles ils ont été placés. Même les enfants placés dans des foyers bienveillants ont fait face à une détresse émotionnelle et ont ressenti un manque d’appartenance, parce que leurs familles adoptives/d’accueil étaient dans l’incapacité de leur fournir les connexions culturelles nécessaires à un développement sain.

Les impacts décrits ici ne peuvent être vus comme appartenant à un simple chapitre de l’Histoire. Ils restent encore d’actualité aujourd’hui, notamment pour les adoptés désormais adultes, leurs Nations, leurs familles et leurs descendants.

Situation actuelle

Le premier rapport sur la rafle des années 60 a été publié en 1983 par un chercheur du Conseil canadien de développement social. Un juge de la cour provinciale du Manitoba a également publié un rapport très critique des politiques de la rafle des années 60 en 1985. Il y conclut que “des familles venaient demander de l’aide aux agences et ont constaté que ce qui était décrit comme étant dans “l'intérêt supérieur” de l'enfant avait comme résultat l’éclatement de leurs familles et la séparation de frères et sœurs”, et qu’un “génocide culturel a eu lieu de façon systématique et méthodique”. 

Ces rapports ont suscité un certain nombre de changements de politiques au cours des années 80 et 90, tels que la création du programme des Services à l'enfance et à la famille des Premières Nations. Ce programme a donné davantage de pouvoir de décision sur les services à l’enfance et à la famille aux bandes locales, et a établi une nouvelle règle accordant la priorité à la famille élargie et aux autres familles autochtones quant à l’adoption d’enfants autochtones. Cela a permis un rapprochement vers les principes décrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, tels que le droit de préserver et contrôler le patrimoine culturel, le savoir traditionnel et les expressions culturelles traditionnelles.

On assiste depuis dix ans à des excuses, ententes et recours collectifs en justice en lien avec la rafle des années 60. Le gouvernement fédéral a ainsi été reconnu responsable des préjudices subis par les Survivants. Cela a également abouti à la création d’un fond dans le but de compenser les Survivants qui déposent une plainte éligible. Le processus d’évaluation de ces plaintes reste critiqué par de nombreux groupes autochtones qui le jugent enraciné dans des principes de justice eurocentriques et qui déplorent l’exigence de prouver et illustrer les injustices vécues sans offre de soutien émotionnel culturellement adapté. 

L’entente a néanmoins conduit à l’établissement de la Fondation nationale de guérison de la rafle des années soixante, une organisation indépendante qui accompagne les Survivants et leurs descendants tout au long de leur parcours vers la guérison. La fondation soutient “la réappropriation culturelle et la réunification, les services de bien-être holistique, la revendication, la commémoration et les initiatives en matière d’éducation”.

Malgré ces avancées récentes, beaucoup de travail reste à faire pour permettre la guérison des survivants des politiques de rafle des années 60, y compris le traitement de toutes les plaintes restantes. Il s’agit également de faire en sorte que tous les enfants “raflés” et leurs descendants puissent renouer des liens avec leurs communautés.

Il est important de souligner que malgré ces procédures judiciaires et reconnaissances de responsabilité, les enfants autochtones sont toujours surreprésentés dans le système actuel de protection de l’enfance. Selon le recensement de 2016, les enfants autochtones représentent 7,7% de l’ensemble des enfants du Canada, mais comptent pour 52,2% des enfants placés en famille d’accueil. En Ontario, les enfants autochtones représentent environ 30% des enfants placés, malgré le fait qu’ils ne comptent que pour 4,1% de la population âgée de moins de 15 ans. De nombreux groupes de défense des autochtones perçoivent le système actuel de protection de l’enfance comme une continuité des efforts multiséculaires d’assimilation. 

Les alertes de naissance

Les parents autochtones sont disproportionnellement touchés par les “alertes de naissance”. On parle d’alerte de naissance lorsque les services de protection de l’enfance contactent un hôpital pour informer le personnel qu’ils considèrent un futur parent comme étant à “haut risque” et dans l’incapacité de prendre soin de son enfant. Ces alertes peuvent conduire à ce que les nouveaux-nés soient retirés à leurs parents dans les heures qui suivent la naissance, sans le consentement de ces derniers, et soient placés dans le système de protection de l’enfance. 

Cette pratique a officiellement été abandonnée dans des provinces comme l’Ontario et l’Alberta entre 2019 et 2021. La Colombie-Britannique l’a même rendue illégale et inconstitutionnelle. Les alertes de naissance, bien que fortement critiquées, sont toujours courantes au Québec.

Même dans les provinces et territoires où les alertes de naissance ne sont plus pratiquées, leur héritage demeure. La peur de se voir retirer son enfant ainsi que le racisme systémique toujours d’actualité dans les systèmes de santé conduit à une méfiance envers les fournisseurs de santé et envers les services gouvernementaux dans leur ensemble. En conséquence, cela prive de nombreuses personnes de l’accès aux ressources et au soutien auxquelles elles ont droit et dont elles peuvent avoir besoin, ce qui impacte une autre génération d’enfants autochtones. 

Resources

Un point de départ pour être solidaire avec les peuples autochtones est d’apprendre l’histoire à l’origine de leurs luttes actuelles.

Si vous voulez en apprendre davantage sur l’époque de la rafle des années 60 et comment elle a et continue d'affecter les survivants, leurs communautés et leurs Nations, vous pouvez consulter ces ressources multimédias:

  • Naissance d’une famille - Un documentaire de Tasha Hubbard qui suit trois sœurs et un frère, adoptés très tôt par des familles distinctes disséminées en Amérique du Nord durant la rafle des années 60, alors qu’ils se rencontrent pour la première fois. 
  • Missing and Murdered: Finding Cleo - Un podcast qui lève le voile sur le mystère entourant le destin d'une enfant autochtone retirée de sa famille d'origine, en Saskatchewan, puis envoyée vivre dans le sud des États-Unis, où on a perdu sa trace. Présenté par la journaliste crie Connie Walker. Article disponible en français, podcast uniquement disponible en anglais.
  • Chronique 70 : la rafle des années 60 - Une des chroniques du segment ‘Parole Autochtone’ de Radio-Canada sur la Rafle des années 60.
  • Chronique 89 : les enfants enlevés de leur famille - Une des chroniques du segment ‘Parole Autochtone’ de Radio-Canada sur les effets à long terme de la Rafle des années 60 et d’autres politiques d’assimilation. Elle s’intéresse à la situation actuelle. 

Remarque

Cet article a été écrit par des allochtones qui résident dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Canada. Le but de cet article est de fournir un aperçu global de l'histoire et des problématiques auxquelles font face les peuples autochtones aux nouveaux arrivants au Canada. Cet article demeurera un “travail en cours”, notre équipe œuvrant à s’engager de manière respectueuse et positive auprès des peuples autochtones. Nous encourageons nos lecteurs à chercher de l’information et des témoignages provenant directement de peuples et organisations autochtones.

Dernière mise à jour : décembre 17, 2021 4006503