Intégration. Langue. Culture. Une entrevue avec George Mulamba

En tant qu’immigrant francophone nouvellement arrivé d’Afrique, comment vous intégrez-vous dans la société canadienne, tout en gardant votre langue et culture ? C’est la question que nous avons posée à George Mulamba, directeur du Théâtre Flash Bantou, un organisme qui s’occupe d'activités culturelles au sein de la communauté africaine en Ontario.

Depuis son installation à Toronto il y a 10 ans, cet ancien scientifique et cinéaste a dû se réinventer afin de réussir dans le contexte canadien. En même temps, cependant, il a fait tous les efforts pour garder sa langue et ses traditions africaines.

Dans cette entrevue, il partage avec Etablissement.Org les expériences, défis et réussites impliqués dans son établissement en Ontario.

Arrivée en Ontario

Que pensiez-vous du Canada avant d’y arriver ? Quelles étaient vos impressions du Canada ?

C’est une très bonne question. D’abord il faut dire, le Canada, c’est un pays démocratique dont la population se compose de nombreux différents peuples. On sait aussi que c’est un pays des droits de l’homme et des libertés. Concernant le système de sécurité sociale, les gens se disent : « Au Canada on ne peut pas mourir de faim. » Ou, encore, on ne peut pas trouver la mort faute de soins médicaux.

Quel était votre emploi dans votre pays d’origine ?

Dans mon pays d’origine, moi, j’ai fait la chimie et biologie. Mais quand je suis arrivé ici ce n’était pas le cas…

Est-ce que vous saviez que l’anglais serait la langue la plus utilisée à Toronto ?

Vu de l’extérieur, le Canada, est connu, partout dans le monde, pour être un pays bilingue. Et on ne doute même pas qu’on puisse fonctionner en anglais ou en français au Canada. C’est ça l’idée qu’on se fait du Canada à l’extérieur. Que c’est un pays complètement bilingue. Mais, c’est une surprise : dès qu’on met le pied au Canada, on trouve qu’il n’y a qu’une seule province qui est francophone...

Quelles étaient vos premières impressions de l’Ontario ?

L’Ontario, c’est une belle province. Mais c’est aussi une province majoritairement anglophone. Pour l' immigrant francophone que je suis, l ’idée même de savoir qu’il y a des Franco-Ontariens en Ontario m'a donné confiance et permis de croire que je pouvais exercer ma langue... et même trouver du travail. Mais c’était pratiquement impossible

À part la langue, quelles étaient vos autres impressions de l’Ontario et de Toronto en ce qui concerne la culture et l’économie ? Avez-vous trouvé ici ce que vous pensiez trouver quand vous étiez en Afrique ?

Non, c’est très différent. C’est très différent. Il faut dire aussi que d’abord il y a toujours les hauts et les bas quand on arrive dans un pays. Il faut apprendre. Mais aussi il y a toute la question de la température. L'Ontario, comme le Canada d’ailleurs, est un pays où, pendant l’été, il fait chaud comme en Afrique ou n’importe quel pays des tropiques.

Recherche d'emploi

Quelles étaient vos expériences concernant la recherche d’emploi ?

Tu sais, l’emploi c’est la vie. Si on ne travaille pas, on ne peut pas vivre. Mais la situation la plus douloureuse, c’est qu’il n’y avait pas un bureau ou un endroit où on pouvait évaluer les capacités de la personne qui vient d’arriver pour faire valoir ses diplômes. Ça n’existait pas. Donc, pour vraiment vivre, il fallait accepter n’importe quoi. Moi, par exemple, en ce qui me concerne, au lieu de travailler dans un laboratoire, je me suis contenté de conduire une voiture, devenir chauffeur de quelqu’un.

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Depuis l’arrivée de George, plusieurs organismes ont mis sur pied des programmes de reconnaissance des diplômes étrangers. Vous pouvez en savoir plus en cliquant ici

C’est très difficile. Et je ne crois pas que je pourrais conseiller à quelqu’un de dire« non», dès que tu vas arriver en Ontario, parce que tu es docteur, tu vas trouver une place dans un hôpital quelconque ou tu vas exercer ton métier. Non. Par contre je pourrais leur dire de commencer d’abord par apprendre la langue. Parce que si on peut commencer par se débrouiller en parlant la langue (majoritaire), il y a quand même des portes qui peuvent s’ouvrir.

Vous avez commencé comme chauffeur. Mais vous avez eu beaucoup d’emplois au Canada...

Oui. Jusqu’à présent, ce que j’ai fait c’est à force de chercher du travail, à force de ne pas en trouver. Il fallait en créer un. Et alors j’ai dit, comme moi aussi j’ai les tendances d’acteur, de direction de théâtre, alors j’ai créé le théâtre et je travaille toujours dans le domaine des arts.

Qu’est-ce que vous voulez faire à l’avenir?

Je suis quand même retourné à l’école, à l’université. Mais même après avoir étudié au Canada, je n’ai pas toujours récupéré, je n’ai toujours pas trouvé ma vraie place. Donc, ce que je peux conseiller aux gens c’est de ne pas baisser les bras. Dès qu’on arrive au Canada et on est médecin, la première chose c’est d’abord une bonne information, retourner à l’école.

Intégration

Est-ce qu’il y a un domaine, par exemple la santé, l’immigration, où il faut que les gens s’informent ?

Ça c’est un point très important. Il y a beaucoup de pays, surtout en Afrique, où les gens ne savent même pas qu’il existe l’assurance maladie. Moi, je connais une famille qui était ici, dont l’enfant était sérieusement malade, et le père se disait : « Je n’ai pas les moyens parce que… »

D’où nous venons, pour aller voir un médecin, il faut se préparer – il faut être prêt pour la facture. Donc c’est donnant-donnant. Après, évidemment, il faut payer. Alors il se disait : « Comme je n’ai pas assez d’argent, je ne vais pas emmener l’enfant à l’hôpital. » Ça c’est vraiment le fait de ne pas bien s’informer.

Y a-t-il d’autres choses que vous voulez mentionner ?

Vous savez, quand on arrive au Canada, les gens aspirent à une bonne vie, un emploi et pour tout dire une vie meilleure. Mais ce n’est pas toujours le cas. Alors, les défis vraiment, c’est d’abord comment les organismes ou le gouvernement qui aident les nouveaux arrivants facilitent l’emploi à ces gens-là.

Mais il faut toujours, quand on arrive dans ce pays, commencer par la base. C’est s’intégrer au bénévolat. S’impliquer dans sa communauté et surtout participer dans des organismes communautaires. On apprend beaucoup. Par la suite c’est faire une bonne éducation, c’est-à-dire aller à l’école. Apprendre l’anglais…

Alors, la première chose à faire, c’est le résautage...

Le résautage. S’impliquer dans la communauté, dans son milieu. Il y a tellement d’organismes communautaires qui font un peu de tout. Il faut s’impliquer. Il faut faire du bénévolat. Il faut se donner.

Et apprendre sur les services gouvernementaux...

Tous les niveaux du gouvernement. Le gouvernement municipal, c’est très important. S’impliquer au niveau provincial aussi. Il faut connaître son député, il faut même prendre contact avec son député. Il faut aller le voir. Si vous avez un problème il faut le poser. Il faut l’exposer. Et aussi au niveau fédéral. Moi, par exemple, je participe à chaque élection, soit au niveau municipal, fédéral ou provincial.

Culture

Il est aussi important que les immigrants africains gardent leur culture...

Donc c’est vraiment une différence de mentalité et je dirais de culture. Les enfants qui sont arrivés ici en bas âge qui grandissent se trouvent pris à accepter des mots et des comportements (canadiens). Par exemple, un adulte en Afrique a une place et un nom. On appelle un parent de même. Alors dans la culture nord-américaine, de plus en plus on a tendance à supprimer ce rôle. Par exemple, on voit des enfants qui appellent leurs parents par leurs noms. C’est inacceptable chez nous une telle chose.

Liens Utiles

Si vous souhaitez savoir davantage sur les enjeux auxquels font face des nouveaux arrivants africains, lisez l’article Les nouveaux-arrivants francophones provenant de l'Afrique.

(En Afrique), un aîné, c’est toujours un aîné. Chez nous le papa de mon ami est mon papa. La mère de mon ami est ma mère aussi. Elle peut me nourrir tout comme elle peut nourrir mon ami. Mon ami, ma mère à moi c’est aussi la mère de mon ami.

Je pense qu’il y a des choses qu’on ne doit pas copier. Mais nous commençons à copier n’importe quoi et n’importe comment. Chez nous tu ne peux pas appeler un homme ou une femme plus âgé que toi par son nom. Il faut toujours dire oncle Georges ou tante Madeleine. Mais ici c’est : « Georges! » « Pierre! » Le manque total de respect. Il y a un manque total de respect.

Et c’est ça... la sagesse, ce n’est pas quelque chose qu’on peut acheter. Les sages sont respectés. On ne peut pas prendre un sage et l’envoyer dans une maison de retraite. C’est inexplicable. On ne peut même pas tolérer ça. Les grands-parents restent à la maison.

Et d’ailleurs, à un certain niveau, ces grands-parents deviennent encore plus importants, parce qu’ils s’occupent des petits.

Comment les africains francophones en Ontario peuvent-ils protéger leurs traditions ?

Non seulement les activités communautaires sont très importantes. Ce qui frappe c’est, par exemple, la télévision française. Ces enfants regardent la télévision du matin au soir durant le week-end par exemple. Mais il n’y a aucun programme existant au futur, parce qu’on ne l’espère même pas, où ces enfants-là peuvent se voir et se reconnaître. Ça n’existe même pas. Alors moi je pense qu’il est grand temps que ces Africains qui sont ici réclament ces services-là. N’est-ce pas ?

Qu’on parle, par exemple des contes africains, à la télévision, s’il vous plaît. Qu’on ait un système de, je ne sais pas, de rencontre. En fait, ce qui est grave c’est que, un peu partout on trouve des centres italiens, des centres portugais, ukrainiens. Mais je n’ai jamais trouvé un centre ou vu un centre africain. On n’a pas un endroit où les gens peuvent venir tout simplement se rencontrer, juste pour se voir, passer le temps ensemble. Ça n’existe pas de tels espaces.

Donc je pense que si on pouvait commencer d’abord, parce qu’on n’a pas vraiment d’endroits pour se rencontrer, par trouver un endroit où les gens pourraient au moins partager un programme ou une idée. Parce que les gens peuvent se rencontrer même au centre francophone ou dans n’importe quelle école comme le collège français. Mais il faut que les gens se construisent ou se donnent des outils, parce que le besoin est là.

Langue

Avez-vous des conseils pour les immigrants francophones qui souhaitent s’intégrer tout en gardant leur langue ?

C’est un problème très sérieux pour les nouveaux arrivants qui s'intallent ici. Moi, je vois dans ma communauté des familles qui se sont complètement assimilées, parce que les enfants vont dans une école anglaise; les parents font même un effort parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils parlent aux enfants même à la maison en anglais.

Donc moi, ce que je pourrais leur conseiller c’est qu'il ne faut pas baisser les bras. Envoyez les enfants dans une école française. Il y en a des écoles françaises. Dans chaque municipalité on en trouve des écoles françaises.

Et aussi il faut s’impliquer dans la communauté. Parce qu’on ne peut pas s’assimiler pour la simple raison qu’on veut s’intégrer. Je sais que c’est important d’apprendre l’anglais, mais on ne peut pas laisser sa langue. Donc il faut surtout parler avec les enfants. Il faut leur parler en français. Il faut les aider à lire en français pour qu’ils puissent le parler. C’est leur langue. Il faut la conserver, il faut la protéger. Donc il y a des familles qui baissent les bras et qui laissent les enfants… Et d’ailleurs je vous l’ai dit, carrément il y a des familles qui, quand tu arrives, tu ne peux pas imaginer que je suis dans une famille francophone, parce que tout se passe en anglais.

Et même les enfants : tu dis : « Bonjour », il dit : « Hi. » C’est grave, c’est grave. Donc il faut maintenant qu’on s’implique d’abord au niveau communautaire. Les parents doivent avoir accès à ces écoles, parler avec des gens, essayer d’aider les enfants à continuer à utiliser la langue française.

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Sites connexes

  • Bienvenue au Canada : Ce que vous devriez savoir - une publication d'IRCC présentant des renseignements sur les divers aspects du mode de vie des Canadiennes et des Canadiens, comprenant des renseignements sur les services de base, où trouver de l'aide dans votre collectivité et les principales sources d'information (fichier pdf).
  • Le Canada et les nouveaux arrivants - Renseignements sur les services d'établissement disponibles aux nouveaux arrivants. Fait par Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada
Dernière mise à jour : février 2, 2015 4000839